Eh, Dieu, t'es mort? - Le blog de Narcipat (2025)

La haute métaphysique, comme la plupart des spéculations abstraites, me passe à mille coudées au-dessus de la tête – ce qui ne m'empêche pas, voyez l'orgueil, de la trouver vaine. Il est des vérités, à mon avis, qui taillent plus grand que l'humain, et qu'on ne peut prendre dans les rêts des mots. J'ai suivi quelque temps, sur un blog qui depuis semble s'être mis en sommeil, un débat VRAIMENT philosophique (rien à voir avec mes élucubrations psycho-socio-moralo-nigologiques à la manière du comptoir [1]) au cours duquel un mirmillon solitaire s'efforçait de prouver à quelques rétiaires athées que la conscience de soi est un miracle et implique une transcendance : nullement tenté d'ajouter mon grain de sel, je regardais ces sommets depuis ma vallée, avec une admiration teintée d'effroi (dans la mesure où je ne comprenais pas tout) mais en saluant d'un sourire l'inanité de la performance. Les philosophes, ce me semble, et tout spécialement les métaphysiciens, peuvent prouver n'importe quoi : dès qu'ils "posent un problème", on peut le tenir pour résolu – mais dans leur œuf, au sein d'un système langagier donné, et d'ailleurs malléable au besoin. Descartes, si je ne m'abuse, prouve Dieu par "l'idée claire et distincte" que je conçois d'un être "souverainement parfait et infini", idée qu'étant fini moi-même je ne puis tirer de mon fonds; mais que sont-ce là que des mots? Est-ce qu'"infiniment bon" est doté de plus de sens qu'"infiniment pain" ou "infiniment nez"? Ignace de Loyola était dur avec ses disciples pour en faire des saints : un minuscule degré humain, donc, et la "bonté" s'exprime par son exact contraire; Gilles de Rays, irréprochable sur le dogme, priait les enfants qu'il avait fait périr dans les tortures d'intercéder pour lui auprès de ce Père auquel il les avait expédiés; Voltaire évoque, invente peut-être, dans son Dictionnaire philosophique, une "petite secte en Danemark" qui égorgeait les bébés au sortir du baptême, pour leur faire gagner sûrement le paradis : au sein donc de la morale chrétienne, point n'est besoin de cogiter longtemps pour mettre la "bonté" en contradiction avec elle-même : ces zozos, qu'ils aient existé ou non, se damnaient pour procurer aux autres le plus grand bien possible. Oui, mon très-cher père, "ils dérangeaient le plan de Dieu", je ne vous le conteste pas, à supposer que la chose soit possible; mais ils parvenaient à le déranger par un surcroît d'exigence morale, voilà le hic : s'il est à portée de notre entendement de pousser l'altruisme jusqu'à la scélératesse, comment les contradictions se résoudraient-elles dans l'infini? La bonté n'a de signification qu'à échelle humaine, et aux barreaux du bas.

Je ne sais ce que c'est que Dieu; et ne puis même Le concevoir qu'à coups de formules vides. De l'au-delà en revanche, je n'en ai que trop, d'"idées claires et distinctes", et pour moi comme pour l'immense majorité des hommes (les Sadducéens, paraît-ils, exceptés), croyants ou non, Dieu n'a que ce sens : la survie après la mort physique.

Laudato si', mi' Signore, per sora nostra Morte corporale,

da la quale nullu homo vivente pò skappare…

Que Dieu n'existe pas, ça signifie d'abord qu'on pourrira tout entier, et qu'en ce monde, le seul qui soit, notre cervelle doit choisir entre l'épouvante de disparaître et les mille formes de l'évitement – blague comprise! « Mourir, c'est très facile : tout le monde y arrive. » Ha ha ha, je meurs de rire!

« Dieu est mort », soit : fils du siècle précédent, je le crois comme vous : sauf en cours de cat'chem, j'ai baigné dedans. Mais cette profération me gêne, parce qu'elle est tautologique : « Dieu est mort », ça veut dire qu'on n'Y croit plus, alors ne nous donnez pas la chose pour cause! Et même « Dieu n'est pas », est-ce que ça présente un sens, l'assertion échappant à la vérification/falsification? « Dieu existe », on a chance de le constater un jour; « Dieu n'existe pas », jamais, puisqu'on n'y sera plus : ce sont des mots en l'air.

Et puis quoi? Ce n'est pas pour me distinguer, la matière est trop grave; mais je répugne à penser ce qui "va de soi". J'ouvre la fenêtre : nulle trace de Dieu, nulle part. Seulement, né trois siècles plus tôt, je L'aurais vu partout, et tout de même un Augustin, un Thomas d'Aquin, un Malebranche étaient llllégèrement plus intelligents que moi, et avaient exploré un peu plus de possibles que l'athée con d'aujourd'hui. Les progrès de la science? Hum. La plupart des vrais savants nous disent qu'il y avait une chance sur des milliasses pour que la vie fût, et que le hasard est une explication des plus pauvres. Et puis moi, la science, je n'en ai qu'une teinture superficielle : j'en profite, je n'y participe pas. Les horreurs de ce monde? J'admets qu'il est salopé, que l'homme est dégueulasse, les religions stupides apparemment, et enlisées dans l'histoire, bref qu'on attendrait une autre copie d'un Être Parfait. Mais enfin tout cela ne date pas d'hier, et l'on dirait bien que c'est seulement la mode qui a changé; or ça me turlupine un max d'être tributaire de la mode quand l'éternel est en jeu. La terre était déjà ronde quand on la croyait plate : on se trompait, voilà tout : pas grave. Mais il est des erreurs qui coûtent plus cher.

dimanche 20 novembre

[1] J'avais inscrit ce blog dans la section “philosophie”, fort peu peuplée, et c'était sans doute un des secrets de son relatif succès : quand on la cliquait, il ne tarda pas à apparaître dans les tout premiers, non certes pour sa rigueur ou sa profondeur!

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